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Les difficiles négociations en faveur du pernambouc des archets

Le 25 novembre 2022 à Panama City , l’adoption d’une résolution concernant le pernambouc à la Conférence des Parties (CoP) de la CITES* a suscité un immense soulagement parmi les archetiers, luthiers, musiciens et orchestres d’ici et d’ailleurs : l’archet était sauvé pour le moment au moins !
Mais que s’est-il passé en 2022 ?

Le pernambouc espèce emblématique et indissociable de l’archet dont l’habitat est en très grand danger
C’est à partir des qualités spécifiques du pernambouc qu’à la toute fin du XVIIIème siècle l’archetier François Xavier Tourte a mis au point l’archet moderne tel qu’on le joue aujourd’hui encore. Archèterie et pernambouc sont désormais indissociables. Le Pernambouc de son nom scientifique paubrasilia echinata, en Brésilien pau brasil -le bois de braise- pousse exclusivement au Brésil et a donné son nom à ce pays dont il est l’arbre national. Il tire son nom de sa couleur rouge intense. Il a été exploité principalement pour fabriquer des teintures jusqu’au début de XXème siècle.

Le pernambouc pousse dans la Mata Atlantica la forêt située le long de la côte Atlantique au Nord Est du pays à ne pas confondre avec l’Amazonie. Une forêt remarquable par la diversité des arbres, la plus importante du monde dit-on, avec plus de 100 essences différentes à l’hectare. Mais elle est en grand danger, il ne subsiste plus que 15 % au plus de son implantation d’origine. Les mesures de protections ne font pas le poids face à la déforestation notamment pour l’agriculture intensive qui est le premier facteur de disparition de cette forêt, mais aussi les coupes illégales de bois.

Il est donc légitime de s’en préoccuper et de tout mettre en œuvre pour préserver ce qui en reste.

C’est pour cela que dès 2002 bien en amont du premier classement du Pernambouc par la CITES de 2007, les archetiers ont lancé l’IPCI International Pernambuco Conservation Initiative afin de susciter et financer des programmes en partenariat avec des associations locales pour reconstituer des zones forestières et aussi pour permettre une exploitation commerciale raisonnée en lien avec des programmes de développement local par exemple plantation de cacaoyers avec les pernambouc pour en assurer l’ombrage nécessaire. Des programmes adossés à des travaux scientifiques afin d’améliorer les connaissances sur cette espèce. A ce jour plus de 350 000 arbres ont été replantés en 20 ans. Un chiffre à mettre en rapport avec le nombre d’arbres estimés pour les besoins annuels de l’archeterie mondiale : une centaine.

Juin 2022 ALERTE ROUGE : le Brésil demande l’interdiction de tout commerce international du pernambouc, une proposition soumise à la CoP 19 de la CITES.
La demande du Brésil a provoqué la consternation des archetiers mais aussi de toute la facture instrumentale et des musiciens et orchestres. Cette inquiétude s’est muée en forte mobilisation les semaines passant. Aussi communiqués, pétitions des musiciens, lettres ouvertes des orchestre, opéras et des ensembles européens relayés par la presse ont permis de diffuser le message du monde musical : protégeons le pernambouc mais faisons-le de manière sensée et efficace ! Fort heureusement, cette mobilisation a porté ses fruits et un certain nombre de pays dont la France ont entendu le secteur musical et ont œuvré pour apporter une réponse alternative à la demande du Brésil sans sacrifier pour autant les archets.

Une voie alternative protectrice pour le pernambouc et porteuse d’espoir pour les archetiers et le monde musical est adoptée le 25 novembre 2022
La proposition initiale a été modifiée afin de proposer une ligne de conduite médiane. La résolution adoptée maintient le classement actuel (commerce autorisé mais soumis à permis). Elle renforce les obligations pour les exportations issues du Brésil en incluant les archets finis. Pour les professionnels et le monde musical français et européens les conditions d’activité sont donc inchangées.
Cette décision est assortie d’un plan d’action en 5 axes, à mener pendant les 3 années à venir : lutte contre le trafic illégal, comptabilisation des stocks légaux existants en dehors du Brésil pour un meilleur suivi de la production, amélioration de la traçabilité du bois brut à l’archet fini, plan de conservation de l‘espèce, l’accès au bois de replantation.

Faute d’avancées substantielles sur ce plan d’action d’ici à la prochaine CoP en 2025 l’interdiction totale de l’accès au pernambouc sera de nouveau en discussion et il sera difficile d’y faire obstacle.

Alors que faire avec tout cela ?
L’archet en pernambouc doit il disparaitre à terme ?
A ce stade, rien le ne justifierait. Fabriqué avec une petite quantité de bois, en utilisant très peu d’énergie, l’archet est un objet durable. Il s’entretient et peut être utilisé pendant des décennies voire plus encore. Les archetiers sont des acteurs engagés de la replantation et de l’étude de l’espèce. Une chance le pernambouc se reproduit facilement et est exploitable à partir de 40 ans, un cycle rapide pour un arbre ! Si la ressource est bien gérée, elle est une source de richesse pour l’économie locale brésilienne. D’autant plus depuis 30 ans les Brésiliens ont créé des manufactures produisant des archets sur place de bonne qualité.
Mais la filière d’approvisionnement doit être moralisée afin d’éradiquer le trafic illégal qui sévit largement. Quant à la recherche sur des matériaux alternatifs, c’est une constante depuis que la naissance de l’archèterie et il faut garder l’esprit grand ouvert aujourd’hui plus que jamais.

Peut-on, doit-on consommer encore moins de pernambouc en concentrant l’utilisation du bois seulement vers l’archeterie haut de gamme celle que nous connaissons en France ? Sans doute pour une part mais la réponse à la question est moins simple qu’il n’y parait. En effet, il faut réfléchir à la meilleure utilisation possible de chaque arbre coupé et travailler à la valorisation du bois en évitant les pertes, penser aux débouchés pour du bois de deuxième qualité… De plus un important travail est à faire sur la question de la traçabilité de l’arbre à l’archet. Un travail de fond doit être mené pour avancer vers une utilisation plus durable et encore plus raisonnée de la ressource.

Est-ce que ces efforts peuvent sauver la forêt Mata Atlantica ?
C’est une question délicate : les causes de la déforestation au Brésil sont multiples et principalement liées au développement de l’agriculture intensive et des autres activités humaines. Les coupes de pernambouc n’en sont certainement pas une cause principale. En revanche, l’attention portée à cette espèce emblématique associée à la volonté affichée du président Lula de préserver le patrimoine forestier du Brésil sont un espoir d’enfin stopper la destruction massive de cette forêt.

Que font les archetiers, luthiers ?
Au-delà du travail qui va être menée par la CITES et ses représentations nationales en lien avec les représentants du secteur auprès de cette instance, les trois années qui viennent sont cruciales pour le secteur. Les archetiers se mobilisent pour répondre au mieux aux attentes des autorités car à la prochaine CoP en 2025 la question d’une interdiction de commerce de nouveau d’actualité si les pays considèrent que la situation ne s’est pas suffisamment s améliorée.
Les archetiers avec le soutien de l’ensemble des professionnels du secteur de la musique sont à l’œuvre pour consolider le travail déjà accompli via l’IPCI et le rendre plus lisible et visible. En France, nous travaillons en lien avec des grandes organisations environnementalistes telle WWF afin de mieux structurer les actions engagées pour la protection de la bio diversités des essences de bois utilisées par la facture instrumentale, la lutte contre la déforestation et le trafic illégal. Nous vous donnerons des nouvelles sous peu !

Et les musiciens ?
En tant qu’utilisateur le musicien a un rôle fondamental. Le premier c’est celui de s’informer, de se poser la question des matériaux utilisés pour son archet et son instrument, à son archetier, à son luthier. Il s’agit d’être des acheteurs responsables et de faire bien entretenir son matériel afin qu’il puisse durer. Bientôt ils seront appelés à s’associer aux démarches des professionnels de la facture instrumentale pour œuvrer activement à la lutte contre la déforestation …on vous en dit plus dans quelques mois !
Une chose à retenir c’est que les archets datant d’avant 2007 ou bien fabriqué avec du bois arrivé en Union Européenne avant 2007 ne sont pas concernés par les réglementations actuelles et des obligations de permis.

Fanny Reyre Ménard , luthière, Maitre Artisan des Métiers d’Art est installée à Nantes depuis 1988. Au sein de la la Chambre Syndicale de Facture Instrumentale, elle est membre du bureau depuis 2009 et porte-parole pour les négociations CITES depuis 2016. Elle s’est rendue à la CoP 19 au Panama en novembre dernier.

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Crédits photos
Pépinière @IPCI
Archet en fabrication @E.Clement
Archets pernambouc @atelierduquatuor

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