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En complément de l’article sur « La Pleine Conscience » (revue n°87)

En complément de l’article sur La Pleine Conscience de la revue n°87, l’AFV propose un entretien réalisé par Marc Benyahia-Kouider.

Rencontre avec Sabrina RUI, professeure de violoncelle au conservatoire Gonzalo Martín Tenllado à Málaga depuis 2002.

Marc Benyahia-Kouider : Bonjour Sabrina, nous avons eu l’occasion de faire connaissance à l’occasion d’échanges Erasmus entre les Conservatoires de Poitiers et de Malaga. Lorsque nous avons échangé sur les contenus pédagogiques, tu m’as fait part de ton intérêt pour les problématiques liées au stress et aux tensions émotionnelles aussi bien que corporelles. Pour répondre à ces obstacles que chacun rencontre à des degrés divers dans son existence de musicien, tu t’es formée à une pratique de pleine conscience dont le cœur du travail est la respiration, la méditation et l’écoute au plus profond de soi-même. Avant d’aller plus loin dans les explications, je propose que tu présentes en quelques lignes ton parcours professionnel
Sabrina Rui : J’ai commencé le violoncelle au conservatoire de Valenciennes dans la classe de Claire Breteau puis j’ai suivi au CNR de Saint-Maur-des-Fossés jusqu’au moment où, pour des raisons familiales, j’ai dû partir en Espagne. Là j’ai connu plusieurs professeurs et eu la chance de participer à des masterclasses de János Starker, Siegfried Palm entre autres mais, les équivalences de diplômes posant problème, je décide de revenir à Paris où j’étudie avec Mascha Yanuschevsaya et reçois les conseils de Valentin Berlinsky. Finalement, je reviens à Burgos où je donne des cours au conservatoire et deviens violoncelle solo de l’orchestre de chambre Arte Cordis a Valladolid. En 2002 je me présente au concours pour être professeur d’état et prends la place que j‘occupe actuellement a Málaga depuis lors, ainsi que celle de violoncelle solo à l’orchestre symphonique de la ville. Je joue aussi en duo avec la pianiste Ana Maria Silva depuis 2002. Ici j’ai eu la grande chance de connaître Mikhail Milman avec qui je me suis encore perfectionnée. Je trouve que le mélange des écoles française et russe est très enrichissant, ça donne un éventail beaucoup plus riche de sonorités différentes.
Marc : Comment se fait le recrutement chez vous ? Le fonctionnement est-il très différent de celui qui est en vigueur en France ?
Sabrina : Le concours est divisé en trois parties ; la première consiste à défendre par écrit un sujet sur le violoncelle et les principes d’enseignement, la deuxième est une prestation instrumentale d’au moins une demi-heure présentant quatre pièces entières d’époques différentes, la dernière est un examen oral sur des aspects techniques du violoncelle et l’art d’’enseigner. Chaque partie est éliminatoire ; Une fois l’épreuve terminée, le résultat combine la note obtenue avec celle des mérites (années d’enseignements, concerts etc.). Puis un classement est constitué en fonction de la note obtenue ; on peut choisir un poste vacant.

Marc : La visite que j’ai faite de votre établissement à Malaga restera un super souvenir car l’échange – porté de notre côté par Emmanuel Mouroux, professeur de piano à Poitiers – a permis des rencontres très fructueuses. Venons -en à la découverte de ta pratique pédagogique de pleine conscience que je t’ai vue appliquer avec beaucoup d’assurance, de compétence et de professionnalisme. Qu’est-ce qui t’as amenée vers cela ?
Sabrina : Il y a eu une grande part de hasard. J’ai retrouvé une amie violoniste qui était partie étudier deux années à Londres. C’était quelqu’un d’incroyablement tendue, elle est revenue métamorphosée, ayant réglé tellement de choses dans sa gestion du stress que cela a aiguisé ma curiosité. C’est là qu’elle m’a parlé de cette pratique, le Mindfullness ou Pleine conscience. J’ai commencé à rechercher des lectures sur internet et, pour tout dire, j’ai fait un peu le travail à l’envers ! N’ayant pas de bagage pour pratiquer la méditation, j’ai directement pratiqué une sorte de méditation non formelle sur le violoncelle, j’ai mené toute une recherche en préparant un programme de concert. Les personnes qui me connaissaient bien étaient interloquées : « On dirait que tu as changé de vie » « Sur scène, tu n’es plus la même » « Le son est génial, ça sonne comme un Strad »…J’étais la première surprise de ces retours car je suivais une sorte d’évolution naturelle. Hasard de la programmation, il y a eu au même moment un congrès à Zaragoza où intervenaient les plus grands médecins spécialisés dans les questions du stress. Tout cet enchaînement d’évènements m’a amené à faire davantage de pratique formelle, après quoi j’ai eu l’opportunité de suivre un Master pendant deux ans à l’Université de Málaga. Ce travail propose une préparation aussi bien psychologique que scientifique.

Marc : Cette formation universitaire a dû te sembler indispensable pour maîtriser ce que tu souhaitais transmettre à tes élèves. J’imagine qu’il faut une bonne compétence pour dégager une légitimité et qu’il est déconseillé de vouloir jouer les apprentis sorciers ?
Sabrina : Il faut être vigilant avec ce genre de pratique en cours, il faut bien connaître les élèves et demander aux parents s’il y a un problème psychologique. On ne peut effectivement pas s’improviser psychologue en cours ou aborder des pratiques corporelles sans les maîtriser. C’est pour cela qu’il faut suivre une formation et passer des diplômes. Il faut préciser que cette approche de pleine conscience se fait avec beaucoup de naturel jusqu’à l’âge de 10 ans environ. Cela correspond assez bien à la façon de vivre d’un enfant. Par la suite, cela va se perdre petit à petit, et c’est justement là qu’il est important de commencer à travailler afin de maintenir ce naturel.

Marc : J’ai eu l’occasion de te voir conduire une séance. Tu nous as tout d’abord proposé de faire quelques pas, nous invitant à nous écouter par le calme et la détente, l’écoute corporelle en lien avec la respiration ; après quoi tu nous as invité à un temps de méditation, qui était davantage un temps de relâchement. Par la suite, tu as proposé ce que tu appelles un scanner. Cet exercice – pour anodin qu’il me semblait – mettait les élèves face d’eux même, dans une écoute qui n’était pas familière à certains (nous sommes tous confrontés, chez nos élèves, au manque d’écoute corporelle et d’écoute de soi). Sentir ce qui se passe dans un bras au repos, sans instrument semblait mettre certaines personnes mal à l’aise. L’idée est-elle de commencer par le commencement ?
Sabrina : Ce qui est certain, c’est qu’il faut pratiquer beaucoup soi-même, bien se connaître soi-même avant de pouvoir aider autrui. Le travail personnel permet de rester réceptif. Il faut d’abord prendre la température avant de se jeter à l’eau, la prudence prévaut, prendre un risque inconsidéré n’est pas une bonne approche. Il faut sonder tranquillement la personne avec qui on travaille et recueillir tranquillement les signaux qui vous parviennent. Il faut trouver l’entrée qui va gêner le moins le sujet. Dès qu’il y a de la résistance, il vaut mieux rester à la surface.

Marc : Quelle proportion du cours est-elle dédiée à cette approche de la prise de conscience et du ressenti ?
Sabrina : Cela dépend du niveau de concentration de chacun, il n’y a pas de ritualisation. Lorsqu’un élève est bien connecté, relié à lui-même, il n’y aura pas de besoin spécifique. D’autres fois, une brève recommandation suffira. Dans le cas où l’élève est freiné par un trop gros manque de conscience corporelle, il sera nécessaire de mener un travail approfondi. Sur la durée, je me rends compte que cette pratique nourrit la dynamique de classe et la complicité entre les élèves. Ils sont sensibilisés à une autre dimension que celles abordées de manière plus traditionnelle en cours et cela développe leur empathie. Ils essayent véritablement de s’aider entre eux. Il arrive aussi que certains, en quittant la classe, continuent à mener des recherches dans le domaine du soin dynamique. Mon principal outil reste qu’ils jouent bien du violoncelle, le Mindfullness est un outil que j’adapte à chacun avec professionnalisme tout en me laissant guider par mon intuition…
Marc : merci beaucoup Sabrina pour ces éclaircissements très enrichissants qui ne manqueront pas d’intéresser les lecteurs.

à suivre, une petite présentation du principe des échanges Erasmus, un récent dispositif d’échange entre les Conservatoires qui a permis notre rencontre:

Erasmus+ est un programme qui permet à tout citoyen européen de se former et de valider des compétences dans un pays membre de l’UE et d’être en partie subventionné. Le cas le plus fréquent c’est l’étudiant qui effectue une mobilité individuelle d’un ou deux semestres, mais ce n’est pas que ça. Erasmus+ peut financer tout ce qui a une dimension éducative dès lors que cela implique différents pays de l’UE, aussi bien pour des élèves de maternelle que pour des retraités.
Lorsque l’on s’intéresse à Erasmus+, la première chose à faire est d’aller sur le site monprojet.erasmusplus.fr on y trouve une présentation très claire des très nombreux types de projets, les appels à candidatures (avec des tutoriels pour aider à la construction des projets) et les résultats des sélections.
Au CRR de Grand Poitiers, j’ai coordonné trois projets Erasmus+ de type “Partenariats” (Action clé 2), à chaque fois sur des durées de 24 mois chacun et permis à 300 élèves de partir en mobilité d’une semaine au sein de groupes chez un conservatoire européen partenaire, et tout cela grâce à des subventions très confortables :
2014-2016 : 40.208€ pour un projet entre Poitiers et Motril (esp.)
2017-2019 : 88.325€ pour un projet entre Poitiers, Malaga (esp.) et Cagliari (it.)
2021-2023 : 60.000€ pour un projet entre Poitiers et Malaga (esp.)
Pour une première expérience, je conseille d’aller vers du AC210-SCH car ce type de projet est adapté aux débutants : le dossier est simplifié, la durée peut aller de 6 à 24 mois et la subvention est plafonnée à 60.000€.
Dans chaque projet il y a un établissement coordinateur et un établissement partenaire. Le coordinateur devra rédiger la candidature et le rapport final, il recevra la totalité de la subvention et en sera responsable. Libre à lui d’établir un sous-contrat avec le partenaire et de lui envoyer la moitié de la subvention. Pour pouvoir assurer ma mission de coordinateur, ma direction m’a toujours octroyé 1 à 2h de décharge de cours selon les projets. C’est un point très important car ce sont des projets très chronophages.
L’impact de tels projets sur les élèves est énorme. Erasmus+ est un incroyable levier sur la motivation des élèves, l’autonomisation des jeunes, le dépassement de soi. Je constate que par la suite, beaucoup d’élèves font le choix de partir en mobilité individuelle durant leurs études supérieures, et j’en suis ravi.
Enfin, pour les enseignants qui accompagnent les groupes ou qui reçoivent les partenaires, ce sont des occasions précieuses d’échanges de bonnes pratiques, d’observations enrichissantes et aussi de mises en situations pédagogiques en binôme avec des collègues européens.

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