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Disparition de Antonio Meneses (mise à jour du 6 novembre)

Ce sont désormais quatre témoignages – deux en français, deux en anglais – que nous pouvons vous livrer ici pour rendre hommage à Antonio Meneses, un très grand violoncelliste et pédagogue parti bien trop tôt.

Nous serons heureux de publier aussi le vôtre, n’hésitez pas à nous l’envoyer par l’adresse mail de l’AFV !

Témoignage complet de Joël Geniet

Le 3 août 2024, Antonio Meneses nous a quittés, emporté par une tumeur cérébrale diagnostiquée à peine deux mois plus tôt. Violoncelliste brésilien, 1er prix à 20 ans du Concours international de l’ARD à Munich en 1977 – qu’il dut préparer sans son professeur Antonio Janigro, alors lui-même malade – puis 5 ans plus tard 1er prix du Concours international Tchaïkovsky (1982), il faisait partie des plus grands violoncellistes de notre temps. Fidèle à la tradition de son unique professeur Antonio Janigro, avec qui il était parti étudier en Allemagne à l’âge de 16 ans, il enseigna de 2009 à 2023 à la Hochschule der Künste Bern (Haute École des Arts de Bern), et enseignait encore cette année à l’Académie Stauffer à Crémone. Soliste et chambriste de renom – il était notamment membre du Beaux-Arts Trio aux côtés de Menahem Pressler – à la carrière internationale importante, il nous laisse une discographie notable. C’était également un pédagogue exceptionnel qui a durablement marqué ses nombreux étudiants par son enseignement.

Je l’ai rencontré pour la première fois en décembre 2018. J’avais entendu son nom à plusieurs reprises, sans y prêter particulièrement attention, jusqu’à croiser une de ses élèves au cours d’une masterclasse. Je me suis alors intéressé de plus près à ce très grand violoncelliste, étrangement fort peu connu en France. Envisageant de le rencontrer pour, qui sait, peut-être entrer dans sa classe, je me mis à écouter ses enregistrements ; ce fut presque un choc : je fus immédiatement ébahi par son jeu, cette beauté, cet art du phrasé dont le contresens était absent. En écoutant d’autres violoncellistes, il m’arrivait pratiquement toujours d’être gêné par un petit quelque chose, un phrasé, ça et là ; mais ici avec lui, je sentais que je ne pouvais qu’être d’accord avec tout ce qu’il faisait. Jamais il n’allait contre la musique, jamais il ne trahissait le compositeur – il avait effectivement une hantise profonde des « faux accents » et du « mauvais goût », pour reprendre les termes qu’il utilisait.

C’est ainsi que, très intéressé, je lui demandai à le rencontrer pour un premier cours. Et il s’avéra immédiatement être le professeur rêvé. Alors que je traînais depuis déjà plusieurs années des problèmes de technique de main droite et d’archet dont je n’arrivais pas à me débarrasser, il trouva immédiatement les clefs pour les régler – plutôt qu’il les trouva, je devrais dire qu’il les avait déjà, presque telles une évidence. S’il fut surpris par le fait que j’arrive déjà à régler une partie de ces problèmes dès le premier cours, c’était cependant seulement grâce à la qualité de son enseignement. Vinrent alors quelques autres cours dans les mois qui suivirent, et lors du dernier d’entre eux, un mois avant l’examen d’entrée à la Hochschule der Künste Bern, il m’expliqua ne pas être sûr de pouvoir me prendre si je ne finissais pas de régler ces problèmes d’ici là… Une immense pression pour moi qui tenait absolument à intégrer sa classe, mais ce fut finalement chose faite grâce à ses excellents conseils. Il me dit d’ailleurs simplement, après l’examen, « You played very good. », ce qui était le plus grand compliment qu’un élève pouvait espérer de sa part. Cela ne l’empêcha pas de me dire également qu’il allait maintenant falloir reprendre ma technique à zéro. Mais j’avais ainsi l’immense soulagement de savoir que j’avais maintenant un professeur en qui je pouvais avoir entière confiance.

C’est ainsi que nous commençâmes, lors de plusieurs masterclasses durant l’été, à reprendre ma technique à zéro. En commençant par des cordes à vide. Très lentes. Puis des gammes, arpèges, doubles cordes. Et les exercices de Ševcík pour la main droite (l’opus 3, arrangé par Feuillard). Ces derniers étaient d’ailleurs un peu devenus pour lui un dada – parfaitement justifié – pour enseigner la technique d’archet, ce qu’il faisait à merveille. Après avoir passé à peu près deux mois uniquement sur cela, je reçus l’autorisation de recommencer à travailler du répertoire, seulement assez facile, et seulement lentement. Pour cela, il me demanda de commencer par le premier mouvement du premier Concerto de Kabalevsky. Peu à peu, il m’apprit ou me réapprit ainsi toute ma technique. Tout en restant toujours intransigeant sur une chose, sur laquelle il insistait par-dessus tout : que l’on ne jouât pas une seule note sans lui donner un sens musical, et ce même sur ces gammes et exercices.

J’appris par la suite que, depuis au moins quelques années, il réapprenait ainsi la technique à tous ceux parmi ses élèves pour lesquels il le jugeait nécessaire. Et l’un de ses anciens élèves, venu une fois le remplacer, me confia regretter de ne pas avoir eu la chance qu’il lui en fasse faire de même ! C’était effectivement d’une efficacité redoutable : j’avais bientôt autant de mal que lui à retrouver dans quelle position saugrenue je tenais autrefois ma main droite.

Il continua ainsi à m’apprendre tout, technique, phrasé, comment travailler, comment mieux travailler, plus efficacement, m’amenant ainsi par exemple à apprendre par cœur dès le début du travail, plutôt que d’attendre que cela vienne plus tard naturellement (ce qui m’amena peu à peu à apprendre de plus en plus rapidement et efficacement, jusqu’à un point que je n’aurais jamais imaginé), abordant parfois des sujets que je n’aurais jamais soupçonnés (il m’a même une fois parlé d’autohypnose). Il nous parlait également régulièrement de Daniil Shafran, des grands violonistes (Heifetz…), et de Menahem Pressler comme d’exemples absolus à (tenter de) suivre.

Sous des apparences plutôt froides, c’était quelqu’un de profondément humain, et humaniste, pouvant se montrer très chaleureux. Il m’a à plusieurs reprises confié avoir, au même âge que moi, été confronté aux mêmes problèmes, notamment d’ordre technique, ou encore avoir aussi été assez timide. Il soulignait également le fait qu’il avait rencontré son propre professeur, Antonio Janigro, au même âge que je l’avais rencontré lui. Traditionnellement, il nous invitait à dîner avec lui après les auditions de classe. Dans une ambiance bonne enfant, il pouvait alors nous parler de musique avec le plus grand sérieux tout comme nous raconter des anecdotes souvent rocambolesques…

Après quatre ans d’études avec lui, alors qu’il prenait sa retraite à la Hochschule de Bern, nous décidâmes finalement d’un commun accord – alors que je souhaitais initialement continuer – que j’arrête pour cette année d’étudier avec lui, nos chemins ayant un peu divergé en termes de goût musical, tout en envisageant que je reprenne mes études avec lui l’année suivante. J’avais ainsi prévu de participer à nouveau à une masterclasse avec lui cet été, et envisageait de candidater à l’Académie Stauffer à Crémone, où il continuait d’enseigner…

C’est une perte immense et irremplaçable et, comme sans doute beaucoup d’autres de ses élèves, je resterai toujours infiniment reconnaissant pour tout ce qu’il m’a appris et apporté.

Témoignage de Camille Ducroux

Quand on m’a demandé d’écrire quelques mots sur ce que m’a apporté Antonio Meneses et ce qu’il a repré-senté pour moi, j’ai tout de suite répondu « Bien-sûr ! ». Et pourtant, les mots me semblent actuellement bien dérisoires. Antonio Meneses a profondément marqué ma vie et je serai éternellement reconnaissante d’avoir été son élève. Il est présent dans chaque note que je joue. C’était un être humain formidable, et d’une grande humilité. Il était également extrêmement drôle ! Je retiens son dévouement extrême, et sa rigueur magnifique. Il m’a transmis l’envie de toujours chercher, expérimenter… Je lui dois énormément. Merci pour les fous rires, merci pour les vidéos de tai chi… Merci d’avoir cru en moi, et merci d’avoir été un tel exemple !

 

Antonio Meneses by Lena Angelina von Almen  (Témoignage en anglais)

 

 On the 3rd of August 2024, the Brazilian cellist Antonio Meneses passed away at the age of 66 due to a brain tumour diagnosed just a few months earlier. In 1977 he won 1st prize in the ARD International Competition in Munich and 5 years later 1st prize in the Tchaikovsky International Competition in 1982. He quickly became one of the most sought-after soloists and excellent chamber musician alongside Menahem Pressler and his Beaux Arts Trio and many other great artists of our time. He enjoyed an extensive international career and has left us a notable discography. As a professor he taught from 2009 to 2023 at the Hochschule der Künste Bern and at the Stauffer Academy in Cremona.

 My first lesson as a student of Antonio Meneses took place on the 10th of September 2019 at Bern University of the Arts. I think I can speak for all his students when I say that every time we entered his classroom we were filled with awe and respect. There was usually silence or you listened to Meneses practising himself and once you were ready to play, the simple question would come: ‘So? What are we doing today?’ – this start of a lesson did not change during my whole studies with him. The feeling before a lesson, that you wanted (and had) to give your very best and the feeling afterwards I will remember for the rest of my life. You never left the room without finding new inspiration and feeling a little bit wiser. I deliberately use the word ‘wise’ here, because Antonio Meneses personified this for me. His lessons were never just about improving your cello playing, but about learning life wisdom and dealing with things he often said ‘this applies not only to music, but to your whole life’. For every correction he made, in addition to the technical explanation, he also gave an example from everyday life that made his reasoning seem even more logical. ‘You immediately hear whether someone has practised every note or just a lot of notes. Every note has to fit into the overall picture of what you are doing; every note takes part in the musical story’. This was followed by a comparison with a promenade, where you not only focus impatiently on your destination, but also pay attention to every flower on the roadside and every architectural feature of nearby buildings and seek out their beauty. In the end, you experience the promenade as much more interesting and informative – just like concertgoers who feel fulfilled and touched by the musician after a concert instead of just remembering the applause at the end.

 

Antonio Meneses had certain principles in which he strongly believed and which he was able to pass on to his students. I started writing these down after my first lesson and even today, after having experienced so many professors, I still feel a great sense of fulfilment when I read them through – and I often do, because they are timeless. Some things seemed to me to be the simplest and most logical things and I have often wondered why only Antonio Meneses could put them into words. For example, his principle of ‘organised playing’. He emphasised that everything you play must be organised. Even things that you think you can already easily do have to be practised with utmost concentration – ‘that’s the big secret to successful music making’. And in more detail, he also referred to other things such as: ‘The bow must not do anything that has not been decided beforehand’, or ‘the intonation can only be perfect if the motion sequences are well thought trough and it is connected to the music’. A novel could be written with these kind of instructions that I collected.

I believe that Antonio Meneses was a rather calm and confident person who didn’t waste his energy on unnecessary talking. Everything he said was very definite and considered and he lived for music with a wonderful sense of humour. He often came across as rather frosty to people that didn’t know him – the unspoken rule was never to address him as anything other than ‘Maestro’. If you hadn’t won his attention by playing well, it was difficult to get close to him. At dinners after class auditions, we listened eagerly to his stories about his exciting musician life among legendary artists, such as Mstislav Rostropovich or Herbert von Karajan. We enjoyed an open and lively Maestro – he of course also schooled us in his knowledge of good wine. It was only towards the end of my time studying with him that I dared to say that he liked me from the bottom of his heart. The hug he gave me at our last meeting was a greater success to me than the diploma I received after my time studying with him.

 His death is a huge loss to the world of music, a loss of enormous knowledge that I have never experienced with any other teacher. I am enormously grateful and honoured that I was able to take some of his knowledge with me on my journey. I will always remember him as a warm and incredibly inspiring artist and professor.

 

Un nouveau témoignage par Maria Clara Mandolesi (en anglais)

I met Antonio Meneses when I was only 15 years old and I studied with him at Accademia Stauffer and Accademia Chigiana for 5 years. I grew up with him.

I will never forget our last lesson, just before his death, when, after working on Saint-Sae?ns Concerto, he asked me “are you happy with your performance?” and then smiling he said “you should be, it was amazing”.

Then we said goodbye with the certainty of seeing each other again soon but I never thought it was the last time.

I will keep our last lesson in my heart forever.

 

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